Une aventure dans la neige
N° 7
M. Van der Stricht
C’était il y a 45 ans : mon auto de tous les jours était une somptueuse Chrysler New Yorker De Luxe de 1955, que j’avais achetée pour deux croûtes de pain derrière une station-service à Liège.
Elle était noire, abondamment décorée de chromes, avec des banquettes en cuir gris ; elle portait encore des plaques congolaises bleues. Sa carrosserie avait été dessinée par le légendaire styliste Virgil Exner ( le catalogue de l’époque en vantait le « 100 million dollars look » ) ; sous son capot était tapi le non moins légendaire V8 « Firepower « de 5,4 litre à culasses hémisphérique, coiffé d’un énorme carburateur quadruple.
Après quelques travaux d’entretien mécanique la colossale auto ( 5m56 de long ) était prête : un palace roulant ! Trônant sur la vaste banquette en cuir, une main sur le volant et l’autre sur le Finger Tip Powerflite Range Selector Shift Lever chromé sortant du tableau de bord, je regardais avec commisération s’agiter les petites traction avant en fer blanc avec leur toit en vinyl et leur diesel grelottant.
Lorsqu’Anne et moi décidâmes d’aller aux sports d’hiver, à Villars-sur-Ollon, en Suisse, avec des amis, je me dis qu’il suffirait d’équiper la Chrysler de pneus neige : mais je n’en trouvai pas de stock, et je me dis alors que des chaînes pourraient aussi bien faire l’affaire, mais je n’en trouvai pas aux bonnes dimensions. On me vendit des lanières équipées de crampons en m’assurant que c’était aussi bon.
Nous prîmes la route, pleins de confiance ; nous étions 6 confortablement installés dans la Chrysler , avec tous les bagages et tous les skis dans le coffre ! Le chalet où nous allions était situé au-dessus de Villars, accessible par une petite route en forte pente avec de nombreux lacets. Nous trouvâmes cette route tout-à-fait enneigée. Avant de l’attaquer nous posâmes les lanières à crampons sur les roues arrière de la Chrysler. Quelques dizaines de mètres plus loin, ces lanières étaient déchiquetées et totalement inutiles. Toujours plein d’optimisme j’abordai la pente enneigée sans hésiter et sans ralentir et je réussis à amener jusqu’au chalet la courageuse Chrysler ( j’imaginais qu’au Congo elle n’avait jamais rencontré de neige ).
Redescendre à Villars le lendemain sur la route enneigée fut une opération beaucoup plus délicate : la lourde auto glissait avec un abandon inquiétant et difficile à maîtriser. Nous décidâmes qu’il était plus prudent de remonter au chalet à pied, et de laisser la Chrysler près du pied de la route d’accès en attendant le jour du départ.
La veille du départ, il ne neigeait pas, la route était toute dégagée : je la descendis à pied et je remontai la Chrysler jusqu’au chalet.
Le matin du départ, il neigeait à gros flocons et la route était à nouveau toute enneigée ! La Chrysler, chargée de passagers et de bagages, parvint presqu’au bout de la descente, mais le dernier tronçon était encore plus en pente, et tout droit. Je n’osais pas aller plus loin. On s’arrêta. Tout le monde descendit de l’auto et j’appelai un dépanneur pour retenir l’auto dans cette dernière pente.
Le dépanneur arriva au volant d’une Land-Rover équipée de pneus neige et de chaîne. Lorsqu’il aperçut l’imposante masse noire de la Chrysler, il décida que sa Land-Rover ne suffirait pas à la tâche. Il repartit et revint avec un gros Dodge Power Wagon. Il attacha une chaîne à l’arrière de la Chrysler, et me dit de mettre l’auto en marche et de descendre tout doucement : je commençai à descendre lorsque la chaîne se détacha ! La Chrysler prit aussitôt de la vitesse ! Juste à ce moment, un groupe de touristes commençait à remonter la pente à pied, et je m’imaginais être comme une boule de bowling dévalant la pente vers des quilles inconscientes du danger. Pas vraiment plein de confiance, je réussis à arrêter la Chrysler en donnant de petites tapes répétées sur la pédale de frein, l’auto s’arrêta et je n’osai plus bouger.
Le dépanneur refixa la chaîne, et je pus continuer la descente sans autre aventure. Ouf ! Les passagers me rejoignirent plus loin en taxi.
Le retour à Bruxelles fut facile et reposant : plus de neige, plus de pentes.